jeudi 28 avril 2016

PMA : J’voudrais bien mais j’peux point

 

« Les personnes LGBT ne sont pas des pigeons que l’on peut appâter tous les cinq ans, une promesse à la fois »[1] a réaffirmé l’Inter-LGBT en réaction aux propos de Laurence Rossignol sur LCP mercredi 20 avril. La ministre y estimait que « la gauche s'engagerait pendant la campagne présidentielle de 2017, à ouvrir l'accès à la Procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules ».[2]

Chiche ! donnons crédit à cette affirmation de l’Inter-LGBT de sa volonté prédictive (plus que descriptive comme le reconnaissait lui-même un des porte-parole de l’inter associative sur les réseaux sociaux).

La Marche des Fiertés de juillet prochain à Paris, qui rappelons-le sera la dernière de ce quinquennat, devrait nous en apprendre plus sur l’étendue de cette volonté de se dissocier de la communication gouvernementale.

Elle sera l’une des dernières occasions, de signifier collectivement et massivement au parti majoritaire qu’il ne pourra s’abriter derrière un mariage incomplet, inégalitaire et dont pour profiter, il est préférable de ne pas être trop en situation de vulnérabilité, pour prétendre afficher un bilan positif.

Il reste un an.

Mais à l’heure actuelle, il serait indécent de permettre aux représentants du parti socialiste de parader à la tête de nos mobilisations.

Car dans la balance, il y a des choix délibérés, tranchés alors même que tous les leviers du pouvoir étaient à disposition :

- l’absence d’une politique de fond contre les LGBT-phobies,
- les personnes trans laissées à l’arbitraire des tribunaux pour l’obtention de papiers conformes à leur genre. Tribunaux qui vont jusqu’à exiger opérations et stérilisation comme conditions de la modification de la mention du sexe sur les registres de l'état civil.
- la restriction de l’accès à la PMA. Et une obligation de mariage pour les lesbiennes pour pouvoir adopter leurs propres enfants et se voir garantir leurs droits et devoirs parentaux.
- Le refus de prendre des mesures pour protéger les enfants intersexes des opérations chirurgicales et mutilations génitales non consenties et médicalement inutiles



Dans ce contexte à quoi riment les propos de Laurence Rossignol ?

Bien sûr, il y a cette dernière Pride pré-présidentielle qui se profile et même, ce gouvernement qui ne voit rien, n’entend rien et ne fait rien de ce que sa gauche en attend, ne peut totalement ignorer que ça grogne y compris chez les LGBT.

Alors, certes il serait préférable de s’épargner une série de Marches à charge et des responsables chahutés, conspués, voire boutés hors des cortèges.

Le scénario socialiste idéal est connu. Aux socialistes, le rôle de l’adulte, responsable et raisonnable. Au mouvement gay, celui du pupille docile, exprimant sa gratitude au seul tuteur acceptant de le prendre sous son aile protectrice.

Mais, au fond, pour les scénaristes du pouvoir, notre observance de ce rôle taillé par avance n’est pas primordiale, tant ils orchestrent déjà, avec la complicité des classes privilégiées, la variante destinée à contrer toute critique venue de gauche, qui range les récalcitrants dans la catégorie des enfants gâtés, aux exigences renvoyées au caprice et prétendument contradictoires avec les responsabilités du réel.

Car il ne faut pas se leurrer, le message de la ministre ne nous est pas principalement destiné.

On peut d’ailleurs observer une redoutable cohérence dans la communication des gouvernements de François Hollande autour de la PMA.

Alors que la réforme a été enterrée, elle ne cesse d’être remise dans l’actualité par ceux-là mêmes qui l’ont renvoyé aux calendes.

Ainsi, rien que ces dernières semaines, Laurence Rossignol s’était déjà exprimée à ce propos à la suite du récent remaniement ministériel le 12 février sur BFM[3], et avait réitéré le 16 février dans Libération[4] « Ces sujets doivent être traités par une société apaisée. Je travaille à l’apaiser ».

Si vraiment la PMA n’avait été abandonnée qu’en raison de la violence de la réaction à la loi  Mariage pour tous, pourquoi passer son temps à la remettre sur la table, sans en parallèle travailler l’opinion à son bien-fondé ?



Depuis le début du quinquennat, les questions gaies n’ont été traitées que comme marqueur de différenciation entre la droite et la gauche, avec une volonté maintes fois réitérée d’incarner une position centriste modérée, jugée la plus susceptible de mettre en difficulté la droite tempérée.
Il s’agissait moins de transformer la société, que de se présenter comme seul à même d’enregistrer les évolutions de la société et de les traduire en terme juridiques et légaux. Ni plus, ni moins. Là s’arrête le projet de transformation sociale des gouvernements Hollande.

A aucun moment, il n’a été question d’entraîner le pays dans une voie de réflexion (encore moins de remise en cause) sur la nature structurelle des inégalités qu’elles soient sociétales ou économiques.

On se leurre à penser que le président serait intéressé par une étiquette de rénovateur, affubler un conservatisme consensuel d’un léger vernis de modernisation qui suffit à lui permettre de se renouveler et prospérer lui convient très bien.

François Hollande n’est pas très éloigné de ses prédécesseurs. Certes, il est bien moins brillant qu’un François Mitterrand se campant en pacificateur d’une France unie en 1988, après avoir conspué les clans et les factions et se rapproche plus du spectre Jospinien de 2002 dont le projet n’était pas socialiste.

Néanmoins le positionnement en réalité n’a pas beaucoup changé, et les ambitions à venir sont d’ors et déjà claires. Jean Marc Ayrault, dimanche dernier, au soir de la victoire dans la législative partielle de Karine Daniel, candidate PS dans la 3ème circonscription de Loire Atlantique, nous en a redonné, pour ceux qui n’auraient pas saisi, le refrain : «Je crois que c’est la responsabilité de ceux qui sont élus, ou pas élus d’ailleurs, de faire leur travail de façon exemplaire sans se disperser dans des querelles secondaires (...). C’est comme ça que nous retrouverons le chemin de la confiance»[5]. Entendez plutôt le chemin de l’Elysée.

Hé ho, entonne-t-on, ailleurs ! pour nous convaincre, qu’il n’y a de progressisme que différentiel. Ce slogan de dessin animé n’est pas sans rappeler les campagnes du milieu des années 80, et notamment le « dis-moi jolie droite, pourquoi as tu de si grandes dents » qui s’était inspiré de l’imaginaire des cartoons. « Au secours la droite revient » avait-on crié au loup, en ces années-là.



On semble avoir oublié au PS que ces campagnes avaient débouché sur une défaite aux législatives …

Qu’importe, c’est au nom de ce seul argument «le PS ou la droite » qu’on essaie de nous enfermer dans une alternative irrecevable : accepter de reléguer nos droits élémentaires dans la catégorie accessoire, ou se voir réduit à occuper dans la balance tactique du PS, la plateau opposé de LMPT et des réacs, dans une symétrie immonde qui n’a pour but que de construire une prétendue médiane.

Nous ne sommes « pas des pigeons que l’on peut appâter tous les 5 ans une promesse à la fois ». Mais, quelle autre promesse nous fait le PS que celle d’avoir à choisir entre deux droites ? Bien malin, qui sait qui avalera quel appât.



Le PS veut le beurre et l’argent du beurre, séduire un centre élargi et rallier sans condition les électeurs de gauche.

Sortir de ce piège implique d’un point de vue communautaire de nous adresser, au-delà de nos cercles militants et des politiques, à l’opinion publique que nous devons convaincre que ces clés de lecture de nos revendications sont fausses.

Le mariage a été défendu comme une fin en soi, une forme d’aboutissement de l’égalité. Il n’est donc guère étonnant qu’il soit désormais affiché comme tel dans le bilan quinquennal. C’est cet axiome même que nous devons récuser.

Sans diminuer l’intérêt de cette ouverture, c’est à nous de démontrer qu’elle ne peut véritablement prendre sens qu’inscrite dans un mouvement général de la société vers l’égalité, et non si elle doit signifier l’enterrement d’une telle dynamique.

A nous de manifester que nos revendications s’inscrivent dans une interrogation globale des systèmes de domination et de porter une remise en question de l’inégalité républicaine objective et structurelle qui dépasse nos seuls intérêts.

Aujourd’hui, nous sommes à l’envers. Nous sommes perçus comme approuvant une normativité majoritaire dont nous ne demanderions que des ajustements qui nous bénéficieraient spécifiquement, quand c’est de tout l’inverse que nous devrions nous faire les relais : à partir de nos spécificités pointer la normative institutionnalisation des discriminations.

Pour ma part, je demeure persuadée que c’est en travaillant à une autonomie réaffirmée et à la mise en valeur de l’originalité de nos points de vue que se trouvent les solutions. Encore faut-il pour cela, se tourner vers nos propres ressources plutôt que de nous en remettre prioritairement aux bienveillance et volonté supposées d’experts et acteurs extérieurs.

Si nous en revenons à la PMA, cessons de brandir des sigles désincarnés qui ne suscitent aucune empathie, acceptons de dire haut et fort que nous voulons une refonte générale de la filiation, cessons de laisser les politiques se cacher derrière des prétendues peurs et confrontons-les au fait « qu’ils ont juste une vision rétrograde de la filiation ou du devenir parent ».[6]
Multiplions les témoignages concrets des effets de leurs lois comme le font les Enfants d’arc-en-ciel, valorisons nos propres experts[7] et le savoir-faire de nos militants sur le terrain.
Ne nous réfugions pas derrière des ultimatums et des menaces électorales aléatoires, mais assumons nos positions. Oui, le mariage est une avancée. Non, il n’est pas l’égalité. Et non il ne tient pas lieu de politique contre l’homophobie et la transphobie.

Si le mariage et les systèmes de parenté représentaient la fin du politique, la solution absolue et définitive aux discriminations et à la domination, l’alpha et l’oméga de l’organisation sociale, les hétéros s’en seraient aperçus, non ?

Alors, osons dire qu’il n’y aura pas de politique de gauche sans droits pour les minorités. Toutes les minorités.

Confrontés à une société qui organise la précarité et se replie sur l’autoritarisme, sur la désignation de boucs émissaires et le racisme institutionnalisé, il est plus que temps de réaffirmer que nous n’en serons ni l’alibi, ni les faire-valoir.